Avant-Propos: dans cet onglet histoire vous retrouverez un certain nombre d'articles qui ont été publiés dans les 11 éditions papier du "Point à la Ligne" entre 1991 et 2003. Merci à Guy et André les 2 moines de service qui recopient les originaux.
(Ce texte comporte des expressions patoisantes. Si vous avez du mal en saisir le sens, belle occasion de contacter un ARTT encore adepte de notre langue maternelle, voire un VTT…)
La maie, tous ceux qui ont vécu à la Chausserie s’en souviennent. Elle était coincée à la cave entre la cloison de la laiterie et l’enfilade de barriques de « noa ou de baco » les cépages préférés à St Mesmin à l’époque.
Les parents l’avaient ramenée « do R’mé ». Ils la tenaient de pépé Henri « do Chirin » qui la tenait de pépé Lucien qui la tenait de … On ne sait pas jusqu’où ça peut remonter. Sans doute pas «au premier ion de not châgne généaolique mais sûrement à ine bronche pu ancienne, persoune est pu là per nous o dire. »
On se souvient de papa penché dessus pendant la guerre. « Per ouvrir la courtouére », nous les petits, il fallait s’y mettre à deux, pi encore en bedassant » (« La courtouére est en ormeau et le corps est en châgne. ») Papa après avoir tamisé la farine et l’avoir répandue en fines couches dans le fond la maie, pétrissait le tout dans un mélange d’eau et de levure. La farine provenait «do froment do grond chomp » que Trouston/Jupon ou Barnum/Pinder baptisés par Monsireigne allaient conduire en charrette au « moulin Yo ». Parfois c’était Périnette en voiture décapotable qui assumait cette besogne. Donc papa pétrissait, ça durait des heures ; il suait, mouchait, crachait dans son grand mouchoir à carreaux « nom de bleu », l’échine en prenait un coup…
La pâte collante, moelleuse, parfumée était répartie dans des « païens ou païounes » que papa couchait côte à côte sous le lit de coin du fournil en dessous de l’escalier montant au grenier. Ca sentait bon, ça montait, ça boursouflait, on aurait dit Monsireigne faisant la « mariennée » en chien de fusil sous les draps.. C’était d’ailleurs le seul jour où il était interdit « d’aller piper le noa au jaud » des fois qu’au passage il soit tenté de gicler un gaviot « nicotiné » dans le pétrin.
Quel plaisir d’observer les fagots de châtaigner flambant et crépitant dans le four, la « raballe » équipée de sa plume/thermomètre raclant sur les cotés braises et cendres, le fignolage à la « seince » humide sur les carreaux de terre cuite quand les quatre briques témoin passaient du rouge au blanc, le coup de lame rapide dessinant une croix sur chaque boule de pâte gonflée dans son « païen », la large pelle plate pour les enfourner … Après un certain temps, toujours avec la même pelle, dans un geste sec, précis, répété, la façon de récupérer chaque pain brûlant, de quoi se nourrir tout une semaine.
Oh les pains blancs, plats, serrés, ronds, (30cm de diamètre), quelle senteur ! « Tu t’en faisais ine seule grécée (ça suffisait) grillée au feu de la cheminée, tartinée de beurre et de mougette. Que t’en avais les yeux pu grous que le ventre…. )
Et puis la guerre se termine… Et puis Beloin le boulanger reprend ses tournées de pains de cinq, de deux, plus longs plus aérés et gonflés, moins blancs « qu’y cochions sur ine baguette de nouziére et qui payons ine foué par mois. » Et puis après quelques bons et loyaux services pour la galette de Pâques, la maie a déménagé de la cave à la grange. De coffre à farine elle devint coffre à bidons de fioul. Quelques uns se sont même laissé aller, nappant la maie de grosses tâches sombres… Et puis nouveau déménagement de la Chausserie au bourg de St Mesmin et paisible retraite dans un appentis… Avec l’humidité les « belauds » ont commencé à lui manger les pattes, elle s’en est mise à « bouéter ».
C’est là que je l’ai récupérée un jour pour la montrer à un copain ébéniste pour qui il n’existe pas de maie complètement banale. Elle ne l’a cependant pas emballé. Et elle a continué à « belauder » dans notre sous-sol et à faiblir sur ses pattes.
Un autre ébéniste est venu à la maison ; elle commençait à nous encombrer « à rin faire ». Il l’a regardée, elle ne l’emballait pas non plus. Normal puisqu’il flairait de l’acheter à bas prix... Mais pas question de la vendre. On s’est mis d’accord ; il va lui refaire une beauté, « la chapuser de partout » pour 3000 francs. Il va la rétrécir de 70cm à cause des tâches irrécupérables et de l’équilibre général ? La patte noire de fioul passera de « devant/darrére », ça va être un vrai bijou.
Si personne n’en veut on la prend. Si on est plusieurs on se la tire à la courte paille. A moins que comme une petite vieille qu’on affectionne on se la prenne à tour de rôle. En tout cas pas question qu’elle sorte de la famille « nom de bleu !!! »
André.
Si vous relisez la série des neuf premiers « Point à la ligne » dans leur version papier, vous trouverez de temps à autre, surtout dans les numéros 5 et 6, son nom. En effet, pour les plus anciens, jusqu’à la « Beillute » et Raymond compris, il fait partie de la famille et habite toujours leur mémoire, même si les souvenirs ont tendance à s’estomper.
Joseph, qui a pourtant une mémoire d’éléphant, a éprouvé le besoin de nous entraîner Marie-Thérèse, Anne-Marie et moi, sur ses traces. C’est ainsi que le 25 novembre 1997, nous nous sommes retrouvés à Niort durant un après-midi auprès de Lucette, sa fille et son mari André Baradeau (selon lui, Baradeau signifie « petit ruisseau », d’où l’expression de chez nous : « sec comme un baradia ». Tout en dégustant café et petits gâteaux, le personnage nous est apparu plus précis et plus présent.
Emile Hay est né le 23 décembre 1899. Il était fier d’avoir un pied dans l’autre siècle. Il décédera en 1997 chez sa fille à Niort.
Son surnom est lié à un épisode de la vie de son père, natif de Monsireigne. Celui-ci fut « gagé » loin de chez lui dès l’âge de 7-8 ans. Bien sûr, sa famille et son hameau lui manquaient et dans les moments de nostalgie, il appelait Monsireigne, Monsireigne… Le surnom lui est resté et fut transmis à son fils Emile. Il eut une fin tragique, puisqu’il a été écrasé par un arbre, probablement au village du Chiron.
Emile avait un frère et une sœur. Le premier est décédé le premier jour de la guerre de 1914 et sa sœur, qui habitait les Sables d’Olonne, mourut comme lui en 1977.
Emile s’est marié avec Julienne Hérault qui avait 9 ans de moins que lui et est décédée 9 mois après lui. Elle avait 2 frères et une sœur dont Joseph se souvient bien. Emile et Julienne ont donc une fille, Lucette née en 1932. La photo les resitue vers 1950, tels qu’ils sont fixés dans notre mémoire.
Comme beaucoup de ses contemporains, Monsireigne eut une scolarité très courte, soit 2 ou 3 ans. Cependant, il savait lire et écrire. Pour compter, c’était « uniquement de tête »…
Dès neuf ans, il fut « gagé » probablement du côté de Combrand dont il ne revenait qu’une fois par trimestre. Cependant , le reste de sa carrière d’ouvrier agricole, il la passa du côté de Saint Mesmin. Avant d’arriver à la Chausserie, sans doute à la Toussaint 1943, il était aux Doutières. Il quitta probablement notre ferme à la Toussaint 1950. Jean, 16 ans, Joseph et René étaient en force et en âge de prendre la relève. Peut-être retourna-t-il aux Doutières et dans une ferme, route de Montournais, avant de partir avec Lucette nouvellement mariée à Maurice en 1952. Ils exploitèrent une ferme de 100 hectares à Liglet près de la Trimouille dans la Vienne. Les conditions imposées par le propriétaire étant moyenâgeuses, ils repartirent tous ensemble dès 1954 à Ardin près de Coulonges sur l’Autize entre Fontenay et Niort. Monsireigne reprit son métier d’ouvrier agricole qu’l poursuivra pratiquement jusqu’à l’âge de 70 ans, tandis que Lucette entrait au Crédit agricole pour une longue carrière.
Monsireigne était un ouvrier hors pair. Ainsi, était-il toujours « gagé » dès la veille de la foire aux valets de la Toussaint. C’était une force de la nature ; un exemple : pour nous épater, il s’accrochait par les jambes sur la poutre « do tét à betteraves » et y demeurait le temps de fumer une pipe. Il en sortait cramoisi mais fier et nous, ébahis ; matin et soir, emmitouflé dans sa grande cape noire, l’hiver, il faisait le chemin de Saint Mesmin – la Chausserie en vélo..
Il avait une âme et un comportement de gosse. Plein de pudeur chez lui, il nous contait mille et une histoires paillardes que chacun s’empressait de transmettre le lendemain à l’école. Ainsi, il est sûrement pour beaucoup dans l’éducation sexuelle des jeunes mesminois de l’époque. Il usait de son don pour nous activer au travail : « on bine deux rangs de choux et je vous en raconte une… ». Souvent avant de reprendre le travail, il se mesurait à nous tous à la lutte ; à quatre ou cinq, nous avions du mal à avoir le dessus.
Il avait un cœur en or, prenant pitié des plus jeunes d’entre nous qui avaient l’onglet à ramasser les topinambours : « pauv’ p’tit fi de garce, mets ta main dans ma poche… »
Son langage était rabelaisien et certaines expressions « mon peton, mon couillon, ma braguette » émanaient du texte du moine franciscain du 16 ° siècle. Elles ont peut-être été transmises par l’intermédiaire de chansons populaires que Monsireigne prisait particulièrement et qu’il aimait accompagner à l’accordéon même si cela irritait les oreilles de Siménon (cf Ouest France du 10 06 1999).
A propos de priser, Monsireigne était un grand consommateur de gros gris qu’il fumait à la pipe ou qu’il chiquait (tabac, carotte)(1). Cela donnait une couleur particulière à ses giclées de glaviots qui n’étaient pas du goût de tous mais qui nous faisaient nous tordre de rire.
Autre petit défaut : il était fortement porté sur le Noa que maman n’avait pas trop intérêt à « couper » car il n’aimait pas les « lavures de vaisselle ».
Julienne et sa fille, même sur la fin de sa vie, étaient obligées de le surveiller et d’aller le chercher, car, parfois la route n’était pas assez large, mais c’était son seul petit défaut : en fait, il aimait bien la vie. Bien sûr, son âme d’enfant avait quelques inconvénients. Il nous faisait franchir les interdits paternels (premiers mégots de tabac gris et tentatives de chique… beurk) et prendre des risques inconsidérés en nous installant à cinq sur Perinette pour des chevauchées périlleuses ou en nous permettant d’utiliser haches, serpes et autres outils dangereux. Les doigts de Joseph en ont enciore des traces.
Inutile de dire que c’était un original. Il faisait partie des quatre ou cinq personnes qui n’allaient pas à la messe le dimanche, excepté pour Pâques. Pour obtenir l’absolution du père de « Biachagne », il jurait pourtant qu’il serait fidèle à l’office dominical. L’attrait du café et la « coinchée » avec les copains étaient les plus forts : « un brin de laine pourri l’enchaînerait » disait Julienne. Mais, « n’était-ce pas l’intention de départ qui comptait » se rassurait-il.
Voilà l’homme qui a enchanté notre adolescence. Papa, c’était plutôt la pensée, le sérieux, la culture ; Monsireigne, c’était plutôt la force, la fête, le plaisir. D’un côté, plutôt le professeur Tournesol, de l’autre le capitaine Haddoc. Nous avions à la fois Pascal et Rabelais à notre disposition.
Quelle chance !!!
(1) Chique que Monsireigne nichait rituellement dans sa casquette avant chaque repas.
Œuvre collective écrite par André supervisée par Joseph
L'hiver 54 vécu et raconté pat Guy sous l'oeil de l'abbé Pierre.
Le réchauffement climatique entraîne des modifications importantes et des phénomènes météorologiques pas toujours faciles à analyser. L’hiver 54 fut-il un événement prémonitoire de ce qui nous attend ? Il reste toujours le souvenir de la froidure des hivers de mon enfance et en le contant, je puise dans les sources de mon itinéraire.
Quand les jours diminuaient, le chemin de l’école était ardu. Partir dans la nuit noire au petit matin pour 4 kilomètres et demi n’avait rien de rassurant à l’âge de 6 ans. Heureusement, nous avions enfilé nos caleçons longs sous le pantalon et Mimi jouait à merveille son rôle de grande sœur protectrice. Parfois, elle devait nous traîner Michel et moi dans les chemins peureux que nous empruntions pour rejoindre la grand-route où la troupe d’écoliers grossissait à l’approche du bourg. Et lorsque nous étions interdits de passer par l’Audraire en raison d’une épidémie de « cocotte »(1), faire le tour par le « Cambourne » était une obligation à laquelle nous faisions entorse couramment. Raymond, qui était le chef de manœuvre, nous imposait le silence à notre retour à la maison. Maman s’inquiétait : si par hasard, nous avions rencontré Mr Yves ou Melle Naud, avions-nous bien salué « notre maître » ou « notre maîtresse »… ?
Le temps de Noël ramenait à la maison toute la fratrie, particulièrement le week-end. Le soir, la veillée s’organisait autour de la grande table du fournil. Le protocole et la ferveur familiale voulaient qu’elle commençât - la vaisselle en cours d’achèvement - d’abord par le chapelet qui, sitôt égrené, faisait transition avec le tri de la mogette et les parties de « coinchée ». Les plus jeunes jouaient aux « petits chevaux » ou apprenaient les règles du jeu de « nain jaune ». Papa était partagé entre les cartes et son devoir de confectionner des paniers en « noisis »(2) ou en « coutes »(3). Maman terminait sa journée à la « baratte » pour en sortir une motte de beurre dégoulinante de petit lait. Ensuite, elle sortait Robert – qui n’en finissait pas d’apprendre à marcher – de sa « baillotte »(4) avant de le langer pour la nuit.
Sur ordre, nous les petits, devions aller nous coucher plus tôt que le reste de la maisonnée. Non sans ronchonner, Michel et moi rejoignions les trois lits-bateaux qui s’alignaient dans la « grande pièce ». Souvent, ils affichaient complet et se trouvaient même en surcharge ! A trois, tête-bêche dans le même lit avec Michel et Raymond, je trouvais que celui-ci prenait déjà beaucoup de place. La surpopulation aidant, le feu de cheminée attisé et les briques chaudes enveloppées de papier journal permettaient à tous un sommeil réparateur.
Le « Petit Jésus » nous réjouissait avec une orange et une paire de savates charentaises… Quel émerveillement de voir scintiller les premières heures, sur le sol en béton bouchardé de la cuisine, les cristaux qu’y laissait l’empreinte de nos semelles toutes neuves !
Pour le premier de l’An, les consignes nous étaient données afin que la formule de vœux soit apprise et retenue dans sa formule intégrale : « Bonne année, bonne santé, le paradis à la fin de vos jours »… Elle était servie à la lettre à toute personne rencontrée. Cette année-là encore, Papa prépare la carriole et attelle Rosette pour aller porter nos vœux à Pépé Drapeau et toute la famille à la Maison Neuve de Saint André sur Sèvre.
Maman et tante Thérèse bichonnent les petits : une solution sucrée gominera les cheveux de Michel et Guy pour un maintien qui pourra durer une quinzaine ! Mimi lisse les anglaises blondes qu’arbore encore Robert ! Seuls, les plus jeunes pourront s’entasser avec Mimi et les parents dans le carrosse qui part de la Chausserie. Henri, Jean et les autres rejoignent le point de ralliement à bicyclette, certains depuis les fermes où ils ont été « gagés », Zézé de l’Aubrière, René du Plessis, Dédé à Combrand ; En effet, c’est à la « foire aux valets » de Saint Mesmin peu avant la Toussaint, que leur destination était jouée pour un montant annuel voisin de 120 000 francs. Compte tenu de la formation spéciale que leur avait prodiguée « Monsireigne », le valet de la Chausserie que j’appelais aussi « tonton la pipe », certains disent qu’ils n’étaient pas au meilleur niveau de la cotation du marché de l’emploi de la commune !!!
Ainsi, toute la famille Point rejoignait les familles Drapeau arrivant du Pineau et de la Guimbaudière de Pouzauges, du bourg de Saint Mesmin, du Sourdis de Saint André, de Bressuire… Avant le repas, les retrouvailles entre cousins et les embrassades mettaient toute la maisonnée en effervescence. Cependant, le rituel des vœux voulait que l’on se déplace dans la chambre où pontifiait pépé Drapeau. Cà « bouchonnait » un peu, compte tenu de toute la « marmaille ». Pépé glissait avec fierté un petit billet de 5 francs à chacun. Maman, avec Robert dans les bras, se postait dans l’encoignure de la porte de la chambre et récupérait à la sortie de chacun de ses enfants mineurs le précieux billet que nous ne reverrions jamais ! Tout le monde étant de retour dans la grande pièce, tante Clémence jetait à la volée des bonbons que tous les enfants recueillaient à quatre pattes…
Le repas à peine terminé, il fallait déjà envisager le retour. Dehors, le temps est à la grisaille, une légère pluie tombe en frimas, ça « brimasse »(5),… le froid s’accentue. Papa, peu rassuré, s’active auprès de Rosette et de son attelage ; pendant ce temps, les au-revoir s’éternisent à l’intérieur de la maison et le chef de famille rentre dépité, annonçant qu’un verglas tenace s’installe, empêchant tout retour raisonnable en carriole à la Chausserie.
Pendant que les adultes parlementent depuis la cave pour trouver une solution, c’est l’explosion de joie chez les cousins. Tout le monde se retrouve dehors dans une partie de glissades mémorable, notre sœur fait sa folle avec ses cousines Mimi et Raymonde, l’énervement est à son comble chez les enfants… La nuit tombe rapidement et les parents ne peuvent que se résoudre à laisser la famille dormir sur place. Le retour au calme de la maisonnée se fera avec difficultés. Les frères aînés sont priés de repartir en vélo ou à pieds avec toutes recommandations de prudence : le pansage du bétail à la Chausserie ne souffre pas de faire l’impasse.
Le lendemain matin, la situation météorologique n’a pas évolué et pour respecter l’adage « les femmes et les enfants d’abord », Papa requiert les services de « Polyte », taxi de fortune de Saint Mesmin qui vient nous embarquer et nous ramène à la Chausserie dans sa « Prairie ». C’était une des premières fois que je montais dans une auto. Rosette et sa carriole à capote reviendront le lendemain au dégel.
Cette année-là, l’hiver fut long et rigoureux. Raymond nous initiait à attraper les oiseaux sous une « logette ». Dans la neige de la cour de la ferme, il disséminait des graines ou de la mie de pain. Une ficelle de lieuse relie la « logette » calée en équilibre instable jusqu’à la maison d’où Raymond opère. Nous sommes au poste d’observation depuis la fenêtre de la grande pièce ; de temps en temps, nous grattons le givre que provoque notre respiration sur les carreaux. D’un coup sec, la ficelle est tirée par le spécialiste, laissant tomber la « logette » sur une volée de moineaux ou rouges-gorges affairés à picorer. A la suite du grand frère, nous fonçons sur la neige récupérer le butin !
Quelques jours plus tard, de cette même fenêtre, j’observe le passage d’une harde de sangliers traversant la cour enneigée de la ferme à la recherche de nourriture au cœur de l’hiver. Brrrr…
Même les conscrits se font rares pour aller ramasser les « poules ». Le froid persistant maintient tout le monde au chaud.
Cet hiver-là, Claude fut conçu pour naître au mois d’octobre 1954…
Cet hiver-là, l’Abbé Pierre…
1)fièvre aphteuse
2)osiers
3)lattes de châtaignier
4)récipient cylindrique en paille tressée
5)brimasser : pleuvoir en pluie fine
La pendule de la Chausserie: un drame a été évité de peu (récit de Guy).
De nos jours, lorsqu’il est nécessaire de consulter l’heure dans nos actes quotidiens, il existe tout un arsenal d’appareils à usage domestique qui sont équipés d’horloges. Je ne vous parle pas du bracelet-montre qui ne quitte pas votre poignet même au fond de l’eau, mais de tous ces équipements ménagers qui meublent nos logements.
Du lecteur CD ou du décodeur au téléviseur, de la gazinière au four électrique, du radioréveil à la calculatrice, du téléphone fixe ou mobile à l’ordinateur, tous ces objets usuels sont dotés de leurs horloges à quartz et impriment leurs données avec leurs cristaux liquides. Le paysage familier de nos intérieurs est truffé de ces cadrans qui nous rappellent que nous passons nos jours à courir après le temps.
Au milieu de tout ce matériel contemporain, subsistent encore dans nos chaumières les comtoises d’antan. Il s’agissait alors d’un meuble essentiel, souvent transmis par héritage ou pouvant faire l’objet d’un cadeau de noces ; meuble unique aussi bien décoré dans sa menuiserie ornée de motifs fleuris que dans son cadran ou son balancier. La « pendule » de notre enfance – comme nous la nommions – m’invite donc à remonter le temps. J’ai vu celle de la Chausserie trôner dans la salle commune ponctuant depuis son angle l’alignement des trois lits-bateaux. Adossée au mur comme une borne sûre, elle égrenait le temps au quotidien ; celui des femmes, Maman et tante Thérèse affairées à mettre le chaudron de choux ou la potée de mogettes dans la cheminée, surveillant la braise dans le potager juste éclairé par une petite « boulite » ou s’installant, avec « Menaine » en renfort, à la lumière de la fenêtre pour la couture et le raccommodage.
Elle rythmait le temps des repas qui revenaient à heure régulière et précise pour les hommes de retour du pansage ou d’une « rabinaïe » à fagoter. A l’heure dite, papa inaugurait les repas par le geste maintes fois renouvelé de la distribution du pain de 4 d’abord signé de la croix et coupé de son couteau en laiton au manche sculpté d’un chasseur et à la lame effilée par l’usure.
Elle perdait aussi son souffle et s’arrêtait en douceur pendant de longs instants où personne n’y prenait garde. Seul, papa était habilité à la remonter. Juché sur la petite chaise en paille dont maman faisait usage pour s’occuper des petits, il enroulait lentement les cordons soutenant les poids au son du cliquetis des pignons dentelés du mécanisme. Alors, il sortait fièrement du gousset de son pantalon l’oignon et sa chaîne argentée pour ajuster la comtoise familiale à l’heure paternelle. Au cours de ce cérémonial religieux, il assumait seul la responsabilité d’un écart possible avec l’heure officielle. De fait, celle-ci n’était vérifiée qu’une fois par semaine au clocher de l’église, puisque le « poste » pouvant donner l’information n’arrivera que plus tard pour la Coupe du Monde de football en 1958 en Suède.
Elle reprenait donc vie et marquait les heures de sa sonnerie sourde et redoublée, accompagnait au rythme impérissable du balancier les veillées où l’ambiance se partageait entre le tri des charançons dans les « lingots » ou la « coco », un jeu de nain jaune animé par Mimi ou une partie acharnée de « coinchée ». Pendant que les aînés s’affairaient à « chapuser » les « coutes » de châtaignier avec leur serpette, papa achevait la mise en forme du panier destiné au ramassage des « topines » ou des « bettes » . Maman consultait le cadran pour envoyer les plus jeunes rejoindre leurs lits où le sommeil était difficile à trouver pendant que la veillée se prolongeait dans la même pièce.
Pour moi, la pendule faisait autant partie des murs que du mobilier à tel point qu’une mésaventure restera toujours gravée dans mes souvenirs. Nos jeux d’enfants étaient faits d’imagination créative compte tenu de l’absence de jouets manufacturés jamais achetés. Agé d’environ 6 ans, j’entraîne Michel, d’un an mon cadet, dans des jeux ayant trait au noble métier que celui d’agriculteur exercé par nos parents.
Dans ce jeu de rôles, Michel représente le bétail. Je manie l’aiguillon pour le faire évoluer à quatre pattes dans les recoins de la maison. Un jour, ayant sans doute simulé ensemble un long labour, le moment du retour à la ferme est inventé. J’attache donc ma paire de bœufs (« Jaunet »et «Calot »)- Michel en l’occurrence - au pied de la pendule et je pars vaquer à d’autres occupations. Celles-ci se sont prolongées au-delà de la patience de Michel, qui pourtant est grande. Il décide alors de se délivrer de sa position devenue inconfortable, en oublie les liens que j’avais solidement noués entre ses chevilles et la comtoise et pense s’échapper sans autre précaution de sa posture prisonnière.
La pendule s’écroule dans un grand fracas de bris de verre et pousse un gong de douleur relayé aussitôt par les hurlements du petit frère littéralement enchâssé à l’intérieur en compagnie du balancier. Par bonheur, les poids n’étaient pas remontés, sinon c’était le coup d’assommoir assuré et Michel eût été « sonné » pour le compte !
Maman l’extrait de sa boite et fait relever la pendule sur ses quatre pieds. Dès qu’elle eût fini de panser les bosses, elle se met à la recherche du coupable qui était planqué derrière une porte, effaré de l’ampleur des dégâts. « Viens-là, Guy… qu’est-ce-que t’as fait ?… ». Une course poursuite s’engage entre Maman et moi autour de la table de la grande pièce. Au bout de plusieurs tours et de feintes pour esquiver l’empoignade, je me rends à l’évidence que je n’allais pas sortir gagnant de ce duel où la vivacité combattait l’autorité.
M’ayant capturé, elle use de toute la pédagogie acquise par les nombreuses années d’éducation des aînés. Elle trouve un fil de laine dans la boite à couture et m’attache pendant de longues minutes ou heures (je ne peux pas compter : la pendule est arrêtée !) au pied de la table sans commentaire. Ce lourd silence accompagnant son geste signifiait l’interdiction sous-entendue de briser cette attache précaire.
Depuis, les pendules symbolisent pour moi cette autorité naturelle qu’impose leur majesté sur nos existences. Celle qui trône dans notre maison – fabriquée à Saint Mesmin – est solidement accrochée au mur par le haut! Lorsque je la regarde, elle témoigne de mon « attachement » aux valeurs que notre famille a véhiculées à travers les générations.
Si vous allez chez Michèle et Raymond, vous retrouverez l’objet du délit, la pendule familiale(ci-joint sa photo/merci Cyril). L’histoire, les ans, les chocs ont eu un peu de prise sur elle, mais elle repose là, dans son grand âge, trace intemporelle de nos éveils à la vie, des ébats et des débats au sein de la fratrie, de la bienveillante affection des parents, des joies et des douleurs qui en sont nées.
Interrogez-la, je suis sûr qu’elle saura toujours vous « conter » le temps…
Voici la guerre des six anciens de la Chausserie (0 à 12 ans à l’époque). Plantons le décor.
1939. La guerre, à l’occasion du conflit Allemagne/Pologne est déclarée le 1er septembre.
1940. L’Allemagne occupe rapidement le Danemark et la Norvège. La France est attaquée début juin, Sedan et Dunkerque tombent. Pétain annonce la capitulation le 17 ; De Gaulle lance son appel le 18. Les 2/3 de la France sont occupés.
Au même moment tonton Louis est fait prisonnier du coté de Rouen ; il part pour Dresde durant 5 ans. Tonton Joseph est capturé dans la Somme et part en Wesphalie jusqu’en 1945.
Pendant ce temps là, papa est exempté pour charge de famille nombreuse. Pelain, son frère, mobilisé à Tarbes est réformé pour une histoire pulmonaire. Tonton Jean Baptiste (frère de maman comme Louis, Joseph, Maurice et Raymond) fait son service au Liban. Il sera démobilisé en 1942. Tontons Maurice et Raymond sont encore trop jeunes pour être enrôlés sous les drapeaux.
Le 2 juillet les Allemands descendent la rue de Chatillon (Mauléon) à Cerisay. Ils sont remplacés le 23 par des troupes motorisées puis par des compagnies d’artillerie lourde. Tout cela rend malade mémé Drapeau. Elle n’a pas de nouvelles de tonton Louis. Vers le 15 août elle fait une congestion cérébrale. Le docteur Herriot la dit perdue. L’abbé Garnier lui donne les derniers sacrements. Une lettre avec de bonnes nouvelles de Louis la remet sur pied miraculeusement. Pour les autres la vie continue. On dit que les tantes de la Maison Neuve (Henriette et Thérèse) se retrouvent à plat ventre dans les champs de topinambours à la moindre alerte.
Pétain, à la maison, trône sur le buffet entre les photos du Sacré Cœur et de la Sainte Vierge. Le chant « Maréchal nous voila » fait partie de nos classiques, nous les petits résistants de la Chausserie qui, avec nos lance-pierres « ne fèsiant pour qu’aux merles, aux pigins, aux grolles » et… bien plus tard aux godets de poteaux téléphoniques.
Maréchal nous voilà
Devant toi le sauveur de la France
Nous jurons, nous tes gars
De servir et de suivre tes pas
Maréchal nous voilà
Tu nous as redonné l’espérance
La patrie renaîtra Maréchal, maréchal nous voilà.
1941 à 1943 L’occupation s’installe sérieusement. La résistance s’organise. La population est coincée entre deux sentiments : Admiration pour les résistants qui commencent à faire sauter ponts et lignes de chemin de fer et soumission à Pétain qui demande de les protéger.
De temps en temps les escadrilles venant du village de Montbail et se dirigeant vers celui de la Naudière vrombissent dans le ciel clair et sèment l’inquiétude : « esto do boches ou do alliés » ? Des avions laissent échapper des myriades de papillons rectangulaires et argentés, (repères pour la résistance ou facteurs de brouillages pour les ondes ???) que nous tentons de capter au vol
A Cerisay l’occupation continue avec les vexations de la population mais aussi un minimum d’entente. Ainsi « les boches* » participent gaiement (l’argent n’a pas d’odeur) aux kermesses organisées pour les prisonniers français. Nous aidons activement au creusement des tranchées dans le pré du bas.
1944/1945. Le 6 juin 1944 c’est le débarquement en Normandie avec les troupes d’Eisenhover. Le 15 oût c’est le débarquement en Provence avec Delattre de Tassigny. L’étau se resserre sur les forces allemandes de plus en plus nerveuses. Le 10 juin c’est le massacre d’Oradour sur Glane dans la Haute Vienne. A Saint Mesmin, Siménon le célèbre auteur de polars, pas trop fier de lui (p.a .la.l n° 2) après avoir fricoté avec les « fridolins* », se terre à la Roche Gautreau C’est sans doute à cette époque qu’un épisode nous a marqués à la Chausserie. Chacun vaque à ses occupations. Hélène Drapeau, 16 ans, cousine germaine de maman et « bonne » à l’époque est descendue au « douet avec la berouette » pleine de linge sale. Monsireigne le valet « charreuille » de la paille ; les gars font peut-être un partie de foot avec « ine ballotte en gueneuille ». Tout à coup, deux allemands passent par-dessus « le Kien de la Noue » et arrivent à hauteur du « douet ». Hélène terrorisée prend se jambes à son cou, abandonnant brouette et lessive et remonte au village en criant « v’la les boches ! v’la les boches* ! ». Elle croise Montsireigne qui, alerté, venait au devant d’elle avec sa fourche à trois cornes pour se coltiner les « doryphores*». En fait les deux allemands étaient l’avant-garde d’un peloton de 60 hommes armés, baïonnette au canon, qui s’installaient calmement dans le village pour quérir œufs, jambons (planqués), « ine petite goutte » etc… et se faire un brin de toilette dans la « lavrasse » ; L’un d’eux dépose même son fusil, prend Raymond (8 à 9 mois/barbotteuse bleue à fond mauve) dans ses bras et l’emmène faire joujou avec les lapins du clapier.
Le peloton en provenance de la région de Bordeaux cherche sans doute à rejoindre l’Allemagne. Il est conduit par deux chauffeurs alsaciens réquisitionnés dont la principale envie est de s’évader. Cette courte entrevue nous laisse bien sûr quelques frayeurs. Monsireigne lui, l’accroc de la chique (voir le portrait dans p.à.la.l n°10), en garde pour son plus grand plaisir, quelques paquets de gros gris.
Les frayeurs nous accompagnent encore fin juin, début juillet, quand, rasant les buissons au retour de l’école, nous croisons les convois de jeeps allemands qui fuient vers l’est équipées de mitraillettes et débordant de soldats blessés.
Cependant la lutte entre F.F.I maquisards et forces ennemies est de plus en plus âpre. Les accrochages font des blessés et des morts de part et d’autre. Entre Cerisay et Pouzauges, du 13 au 18 août la ligne de chemin de fer saute 3 fois.
Le 2, août c’est la batterie pour la 1ère vraie récolte de blé de la Chausserie. Papa, Lili et Jean sont allés chercher la « vanneuse » (batteuse), le monte-paille et le gros moteur de plus d’une tonne avec les bœufs Luneau/Blandin, Compagnon/Luron et Parisien/Boulevard. Zézé brise les parpaings de charbon qui vont alimenter le moteur. René remplit le « bayot » d’eau pour refroidir ce monstre. Dédé porte les litres de noah aux batteurs. Mimie et Raymond (à quarte pattes) vont humer dans la laiterie « si le millet n’a pas tourné ». Le chantier bat son plein, la meule de gerbes baisse, la vanneuse ronfle, le moteur siffle, le pailler dressé au carré monte. Les femmes apprêtent les grandes tables dans la grange pour le dîner précédant la fête.
Mais dans la matinée du 25 quatre hommes de Montravers pris en otage à la suite d’une méprise de la résistance sont fusillés dans le cimetière. A l’aube une femme, sa fille de 21 ans et sa cousine de 13 ans sont abattues sauvagement. Cette même matinée, alors que la foule de Cerisay s’apprête à participer aux obsèques de deux victimes mitraillées le 23 août, la ville est bombardée et transformée en champ de ruines. En début d’après midi les allemands s’acharnent et détruisent par le feu les restes des 172 maisons. Des restes on ressortira cinq morts.
Pas de radio, pas de téléphone, pas de journal pour transmettre les nouvelles… Seul le facteur au cours de sa tournée, peut-être… Pourtant on sent le drame. En fin d’après midi aux poussières des battages se mêlent les cendres qui descendent du brasier situé à 10 kilomètres. La fête n’aura pas lieu, Monsireigne ne jouera pas de l’accordéon, les palets resteront dans leur boite. C’est ainsi que se termine cette triste batterie d’août 1944.
Pendant ce même mois d’août, Lorient est détruite. A 10 km dans un petit village de Guidel, Lesvariel, Anne Marie en barbotteuse rose sur fond… vit son premier printemps. Une compagnie de D C A (défense anti aérienne) est à proximité attirant les bombardiers allemands qui truffent la campagne d’obus. L’ordre d’évacuation est donné. On harnache le cheval et voila Anne Marie embarquée dans la carriole sur les genoux de sa grand-mère, serrée près de ses 4 frères et sœurs, au milieu de quelque colis de linge et de vaisselle. Les cochons, volailles et lapins sont abandonnés ; seules six vaches sur douze sont récupérées et conduites par les parents qui suivent « l’embarcation.» Anne Marie et ses parents seront hébergés par le maire de Locunolé, petite commune du Morbihan ; ses frères et sœurs se retrouveront tassés avec des dizaines d’enfants dans un baraquement avec pour lavabo le ruisseau en contrebas.
L’exode se terminera en juin 1945. La famille à nouveau rassemblée se retrouvera à Lesvariel dans une maison pillée, vidée ; plus de meubles, plus de literie, plus de linge, plus de vaisselle, une maison nue et … bien sûr plus de bétail. L’armistice est signé le 8 mai 1945. Pétain est remballé dans les cartons au fond du grenier; les vents ont tourné. Vive De Gaulle. La guerre est finie, la vie reprend.
Depuis me toute petite enfance, je crois avoir été fasciné -comme bien d'autres d'ailleurs- par l'habit ecclésiastique.
Aussi, lorsque le Père Curé Merceron s'en vint à la Chausserie recruter dans la famille POINT un enfant pour le service du chœur, je fus naturellement enclin à répondre favorablement à sa sollicitation, encouragé fortement par Maman qui n'en n'était pas peu fière.
Cette charge d'enfant de chœur, accomplie avec le plus grand sérieux, me permit de toucher de près ce qu'est une hiérarchie. On ne devient pas «thuriféraire»(1) sans avoir au préalable fait ses preuves comme acolyte(2). Ce fut d'ailleurs une école de discipline et de maîtrise: moucher les chandelles avec l'éteignoir ne s'improvise pas, exercer convenablement le port du cierge ou le balancement de l'encensoir, manier sans contretemps le claquoir (3)ou la clochette, porter avec dignité burettes et manuterge(4), orchestrer avec ensemble génuflexions et processions ne sont pas le fait du hasard mais le fruit d'une pratique quotidienne vérifiée et corrigée par le prêtre du lieu.
Dévaler à bicyclette le chemin cahoteux de la Chausserie dans les matins frileux de nuit noire pour être à la messe quotidienne de 7 heures tenait sans doute de la ténacité et d'un peu d’héroïsme pour un enfant de neuf ans. N'eussent été les cafés et les gâteries de «Pelain» et «Menaine» que ma foi d'alors n'aurait pas été suffisante pour persévérer dans ce service avant de rejoindre ensuite les bancs de l'école.
D'autres arguments venaient conforter mon engagement. Au plaisir que peut procurer la satisfaction du devoir accompli du mieux qui soit, s'ajoutaient les encouragements qui prenaient la forme de dragées récupérées à la volée à la sortie d'un baptême ou de quelque menue pièce glissée furtivement par de bons paroissiens.
La coutume voulait que ce service bénévole fut tout de même gratifié de quelque reconnaissance pécuniaire. La paroisse n'étant pas assez riche sans doute, il nous revenait de collecter des œufs auprès des paroissiens aux alentours de Pâques. La troupe d'enfants de chœur s'en allait ainsi de ferme en ferme, préfigurant ainsi le ramassage des «poules» réservé aux conscrits.
L'accueil était des plus chauds dans les villages, trop sans doute. Une petite «goutte de femme» nous était proposée et à tout coup acceptée pour nous enhardir dans notre route. Les paniers s'emplissaient, les estomacs et les têtes s'alourdissaient à tel point qu'entre La Béquiniére et le Plessis, j'ai laissé choir le contenu complet d'un panier d’œufs au passage d'un buisson. J'ai du «cuver» sur place ma première et dernière cuite de ma vie ( à ce jour...)! Mes compagnons réussirent à me ramener à peu près en état et le reste des œufs conservés par mes copains fut confié à Louise, la «bonne» du Curé. Elle était chargée d'en assurer la commercialisation au marché du lundi à St Mesmin. Il me souvient même qu'elle les avait bradés en dessous du cours du jour à notre grand désappointement.
Monsieur le Curé, chargé de la répartition des dividendes, me remit ainsi qu'à chacun un billet de 50 francs. Habitué jusqu'alors à traiter la vente de peaux de lapins, données par «Menaine», chez Grangien à hauteur de 20 centimes, j'étais tout ému à l'idée de posséder cette fortune jamais égalée. Je m'en revins à la Chausserie, heureux d'annoncer la nouvelle à la famille et faisant des projets pour l'utilisation de ce premier «salaire».
La guerre d'Algérie sévissait alors. René s'y trouvait dans des conditions difficiles. L'inquiétude de Maman était permanente, les nouvelles peu nombreuses. L'argent manquait à la maison. Sans doute torturée mais aussi soulagée, elle récupéra donc le billet providentiel pour confectionner un colis de denrées à l'adresse de René.
Adieu veau, vache, cochon, couvée!!!...Je fus contrit par ce choix imposé et mis longtemps à comprendre.
Aujourd'hui, ne faut-il pas chercher en ces faits et l'éducation ainsi conçue, la naissance chez moi de l'antimilitarisme, l'explication de nos rapports avec l'argent et l'origine d'une solidarité entre frères et sœur de la famille Point?
Aux jeunes générations d'apprécier et de tirer les enseignements de l'histoire.
Lexique :
(1) thuriféraire:chargé de porter l'encensoir
(2) acolyte:simple servant du prêtre
(3) claquoir:instrument donnant le signal de la position
(4) manuterge: petit linge avec lequel le prêtre s'essuie les doigts
Il était une fois… 1er de l’an d’enfer ! 1er janvier 1945, c’est le branle-bas à la Chausserie*. Dès le matin, on fait la queue leu leu pour la bise de nouvel an aux parents. La seule de l’année… « T’y vas le 1er, t’es le plus grand » « Bonne année, bonne santé, paradis à la fin d’tes jours. » « Attention, dis pas à la fin d’l’année. »
Lili, après avoir donné foin et avoine à Périnette*, l’étrille et l’habille de ses harnais. Jean et Zézé sont entrain de « fombroyer »* ; y a longtemps que la traite est finie. Maman est aux gorets, Hélène* est aux lapins avec Raymond accroché à sa « dorne ».* René et moi sommes aux chaussures. Papa les a « recloutées » aux lanières* de caoutchouc la veille. Que ça « torluze » !* Mimie la chouchoute, elle fait rien… T’as le droit de te défendre dans le prochain journal. ( note personnelle du rédacteur)
Papa est entrain de briquer la carriole (pas celle qui a une capote et des roues caoutchoutées et qui viendra plus tard) non, celle dont les roues ont été cerclées de fer par Henri Guitton le forgeron.
Oui c’est le branle-bas ; on va dire la bonne année à Pépé et Mémé Drapeau à la Maison Neuve. Nous voilà partis, neuf ou dix ! On a pourtant fait qu’un tour, les grands devaient descendre pour monter la « butte des Landes. ». Hue ! Petite émotion en passant devant le « R’mé » et son grand marronnier, là où Jean a cuvé sa première cuite et où sont nés les six premiers et nous voilà arrivés. A la queue leu leu… Pépé, Mémée, Tonton, Tatats, Cousins : « Bonne Année »… ! La table de batterie est de sortie, œufs mimosa avec betteraves-carottes, pot au feu, jambon-moujettes, « Meuil »* et savoie, le tout arrosé d’un petit coup de Noa*. -Maintenant les gosses, tirez-vous de là ; allez jouer dehors ».
Nous voilà partis avec les cousins de Bressuire (ceux qui parlaient bien le français), Claude, Michel ; les cousines, Mimi, Raymonde, ect… direction le pailler. On étale une grosse litière par terre et on saute chacun son tour dans le vide, sans élastique, les yeux fermés, la trouille au ventre.
Tout d’un coup, j’entends :
« t’as dit nom de Dieu eu tombant ».
« Oui, oui, il a dit nom de D ».
« On l’a entendu dire nom de D… »
-« Mais non, j’ai simplement dit nom de bleu, comme papa »
-« On va le dire, il a dit un gros mot »
Et me voilà, comme un démon, poussé par la horde de chérubins innocents devant mémé Souchet, la coinchée* s’arrête, le silence s’installe.
-« Tu sais ce que c’est de dire nom de D »
-« snif ! snif ! … j’ai dit « nom de bleu » comme papa.
-« C’est un gros péché mortel. Tu sais que ça mène en enfer et tu sais où il est l’enfer à la Maison Neuve ? »
Voilà comment, à cause de ces salauds de cousins et de frangins, je me suis retrouvé, pris par la culotte (courte) et les bretelles, dans le noir du four de la cheminée. Seul espoir en vue : un léger trait de lumière perlait d’un petit trou de la porte en demi-cercle, rouillée…
Annexe. N.B : Les renvois (pardon !) n’ont d’intérêt que pour les 2éme et 3éme générations.
Chausserie*. Hameau dans lequel sont nés les 5 derniers et où ont gambadé les enfants de Jean et Madeleine
Périnettte* :Jument percheronne grise, ayant toujours été vieille (24 ans dans l’état des lieux de la Chausserie) dont la renommée dépassait les limites de la paroisse. Frombroyer* : Enlever à la brouette la litière souillée des vaches.
Hélène* : Cousine germaine de maman, « Bonne » à la Chausserie, sœur de Marcelle la femme de Maxime Papin.
Dorne* : Tablier retroussé et épinglé contenant la nourriture pour lapins et poules. Lanières à base de vieux pneus recyclés ; c’état la guerre. Henri Guitton : Père de Dédé Guitton, maréchal ferrant.
Meuil* : Laitage à base de mil ou millet : excellent ce jour-là, il n’avait pas « tourné ». Autrement dit dont la fermentation ne l’avait pas rendu acide et immangeable ». Coinchée*. C’est comme la « manille », sorte d’ancêtre de la belotte.
Noa* : Cépage au vin succulent des coteaux vendéens, injustement éliminé par les cabernets et autres sauvignons. A l’époque la cocaïne et le hachich ne faisaient pas le poids. On dit qu’il était chargé d’éther et qu’il rendait fou…